ECKHART

ECKHART (vers 1260-1327) écrits

Maître, théologien dominicain

 

Les marchands du Temple

 

      « Emportez cela d'ici ! » dit Jésus aux marchands (Jn 2,16). Ce sont des « marchands du Temple » ceux qui, tout en se gardant des péchés les plus grossiers, aimeraient être des gens de bien, font de bonnes oeuvres, mais afin que notre Seigneur leur donne autre chose en échange. Ils veulent que Dieu leur rende en échange ce qui leur est agréable ; ils veulent trafiquer avec notre Seigneur. Mais c'est une erreur de chercher à faire ce commerce. Car même s'ils donnaient tout ce qu'ils font et tout ce qu'ils ont, même s'ils sacrifiaient tout pour Dieu, le Seigneur ne serait pas tenu de donner ou de faire quoi que ce soit à moins qu'il ne le veuille gratuitement, de son plein gré. Ce qu'ils sont, ils le sont par Dieu ; ce qu'ils ont, ils le tiennent de Dieu et non d'eux-mêmes...

      D'ailleurs comment agiraient-ils de leur propre initiative, alors que le Christ nous dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5) ; c'est être complètement insensé que de vouloir commercer ainsi avec Jésus, c'est ne rien savoir de la vérité. C'est pourquoi notre Seigneur chasse les marchands du Temple. La lumière et les ténèbres ne peuvent pas cohabiter ensemble ; or Dieu est lumière, il est vérité et lumière en lui-même. Quand donc il entre dans son Temple, il en chasse l'ignorance ; la Vérité ne supporte aucun esprit mercantile.

      Car Dieu ne cherche pas son bien propre ; en tout il est dégagé et libre, il fait tout par vrai amour. Et c'est ainsi que fait l'homme qui est uni à Dieu ; il est lui aussi, par la grâce du Christ, dégagé et libre en tous ses actes ; il ne les fait que pour l'honneur de Dieu et non pour son bien propre -- ou plutôt il les accomplit en Dieu. Si tu veux donc être totalement dégagé du mercantilisme spirituel, fais tout pour la louange de Dieu, sans rien demander en échange. Alors tes oeuvres sont spirituelles, divines ; Dieu y est seul, seul en vue. 

Sermon 1 sur Mt 21,12
(trad. Ancelet, Seuil 1974, rev. Tournay)