COMBAT / Correction fraternelle

Introduction

Dans notre vie chrétienne de tous les jours, nous sommes amenés à nous remettre en cause  dans notre relation avec Dieu et avec les autres, puisque le premier commandement de Dieu est de nous aimer les uns les autres comme Dieu nous aime. Nous le savons, nous l’affirmons, Dieu est pardon et amour, mais cela veut-il dire que nous devons tout pardonner sans jamais rien dire ?  Que penser alors de la parole de  Jésus :

« Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, » (Matthieu 18/15)

Qui a dit que le pardon empêche la rencontre fraternelle pour se corriger mutuellement ? On peut alors s’interroger sur ce qu’est exactement la correction fraternelle. Quand et comment doit-elle être vécue ?  Est ce que je dois réagir uniquement quand le péché de mon frère me fait mal à moi ou alors quand ce péché est d’ordre plus général et porte atteinte aux autres ou à lui-même ? Nous tenons tous au respect de notre liberté, de notre intimité, mais jusqu’où ce respect doit-il aller ? … Combien de fois n’utilisons nous pas l’expression : «ça ne regarde que moi ! ». Et puis avouons-le, se mêler des affaires d’autrui est source de tracas, d’ennui … alors pourquoi nous en mêler ? Cependant la loi de Dieu est claire, nous devons nous aimer et donc nous aider, nous guider mutuellement dans la bonne direction. La loi humaine elle-même, réagit en ce sens lorsqu’elle condamne la non-assistance à personne en danger. 

En fait si nous voulons vraiment vivre la loi de Dieu, nous nous devons de suivre le précepte que St Paul donne aux romains :

N'ayez de dettes envers personne, sinon celle de l'amour mutuel.

 Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi. (Rm.13/8-ss)

Ainsi, l’accomplissement de la loi c’est la charité, l’amour de l’autre …. Et peut-on vraiment dire que nous aimons notre frère pécheur si alors que nous le voyons se perdre dans son péché, nous ne faisons rien pour l’aider à en sortir ? Nous le voyons donc, la correction fraternelle n’est pas un jugement, une condamnation, mais bien une main tendue pour aimer et aider.

A quoi sert la correction fraternelle ?

A plusieurs choses :

A aider le frère ou la sœur en difficulté à retrouver son chemin vers Dieu, au milieu des autres dans ce qui fait sa vie courante.

A éviter tous les non-dits, tous les silences qui agissent comme une gangrène dans notre cœur et finissent par créer des fossés de non communication infranchissables.

La correction fraternelle est un acte de solidarité, un acte d’amour qui a souci de l’autre pour le faire grandir, pour l’aider à se réaliser pleinement et non pour l’écraser.

La correction fraternelle n’est pas un luxe, ou quelque chose que je peux ne faire que si j’en ai envie. Non, c’est un devoir de charité fraternelle. Un devoir que je saurai vivre si je regarde toujours l’autre avec amour quoiqu’il vive. Le Seigneur nous donne le commandement de nous aimer les uns les autres, de nous aider les uns les autres. La correction fraternelle entre dans ce commandement. Le tout est de savoir comment la vivre, comment bien la vivre.

Prenons le temps de lire ce texte en Mt 18,15-20

" Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul.  S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il n'écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. Que s'il refuse de les écouter, dis-le à la communauté.  Et s'il refuse d'écouter même la communauté, qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain. " En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié. " De même, je vous le dis en vérité, si deux d'entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux.  "

Nous voyons immédiatement qu’il y a dans ce texte une progression, et cette progression est importante, d’abord il y à la rencontre «  seul à seul », puis à « deux ou trois » pour en arriver à la communauté. Cette démarche progressive est capitale, c’est pourquoi nous allons la suivre dans ces quelques lignes. 

Démarche de frère à frère

" Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul.  S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. »

Jésus ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il vive. Aussi comme il ne veut pas l’écraser, mais au contraire souhaite le redresser dans le respect, il demande la rencontre personnelle afin que la discrétion le préserve de toute humiliation, de toute vexation inutile.

On comprend bien dès lors qu’il ne s’agit pas d’aller voir le frère en faute pour lui faire sentir notre bon droit, notre supériorité, mais bien d’aller vers lui pour le relever, lui montrant certes son erreur, mais avec la tendresse d’un frère aimant. Il n’est pas aisé de vivre une telle rencontre, elle doit donc toujours être préparée dans la prière afin que l’Esprit Saint puisse nous aider à trouver les mots justes, le ton juste, et surtout que ce soit l’amour qui dirige la conversation, et non la rancœur ou la colère. Si avant une telle rencontre nous nous apercevons que nous voulons la vivre du haut de notre raison, du haut de notre bon droit, de notre justice, alors il faut s’arrêter et prendre le temps de se regarder soi même devant Dieu afin de pouvoir rencontrer notre frère dans l’humilité ; sans humilité, nous allons le blesser et faire encore bien plus de dégât.

Démarche communautaire

« Si ton frère ne t'écoute pas, dit Jésus, prends encore avec toi un ou deux personnes, afin que toute l'affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois  témoins »

Là, on entre dans une étape plus sérieuse, car dès lors le péché est comme mis en vue des autres, la discrétion s’amenuise. On n’entreprend pas cette démarche pour n’importe quelle raison, ni avec n’importe qui. Il faut déjà que le litige soit important, et qu’il touche la vie de la communauté soit directement, soit par voie de conséquence ou encore que la vie du frère ou de la sœur soit en danger d’une manière ou d’une autre. Le but de cette rencontre à deux ou trois est de faire comprendre à la personne en question, la gravité de son acte, de son comportement, et donc, faisant ainsi pression sur elle de l’amener à réfléchir pour qu’elle change de conduite. Mais là encore il ne s’agit pas de l’écraser, de l’enfoncer, mais bien au contraire de la tirer vers le haut, de l’aider à retrouver la bonne direction dans sa vie.

Démarche d'Église.

« Que s'il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. »

Quand la faute est d’importance, et que donc qu’elle peut entraîner des conséquences graves, si le pécheur ne revient pas de sa conduite alors il faut en référer aux autorités c'est-à-dire à la communauté, à l’Eglise. Il est en effet des choses et des conduites qui ne peuvent rester dans le silence et surtout sans réaction. En arriver à une telle action implique qu’une décision grave doit être prise en cas de refus de conversion, et c’est pour cela que c’est l’ensemble de la communauté qui doit se positionner afin d’éviter toute vengeance personnelle ou encore toute pression injuste. Rappelons-nous toujours que cette démarche doit être faite et vécue dans un but de reconstruction non de condamnation. C’est la grande différence avec les tribunaux civils par exemple, ou la justice est avant tout punitive.

La mise à l’écart

"Et s'il refuse d'écouter l'Église qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain".

Au premier abord on pourrait croire ici à un rejet pur et simple du fautif, mais ce serait faire là une grave erreur de jugement, et de compréhension. Cette mise à l’écart n’est là que pour protéger la communauté des conséquences des fautes, et éviter l’imitation de cette conduite de péché. Cela ne veut pas dire qu’il faut mépriser dorénavant le frère ou la sœur en cause, mais au contraire le porter dans la prière même si humainement on ne peut plus rien faire d’autre tant il s’obstine dans sa conduite. N’oublions pas que le Christ est venu pour tous les hommes, pour tous les pécheurs, sans distinction. Le salut peut arriver dans tous les cœurs, et nous n’avons pas à y faire obstacle par notre conduite, ce qui serait immanquablement le cas par notre mépris, voir notre haine de ce frère pécheur. Il faut donc garder notre frère dans notre cœur, même si de corps nous sommes dans l’obligation de prendre quelques distances au moins momentanément, il faut aussi prier et jeûner pour lui, afin qu’il voit clair et que son cœur s’ouvrant à la vérité et à la miséricorde de Dieu, il puisse revenir un jour de sa mauvaise conduite. Le péché est l’œuvre du malin dans notre vie, et rappelons nous ce que Jésus disait à ses apôtres qui n’avait pu expulser un démon : « cette espèce là ne peut partir que par le jeûne et la prière. » Croyons alors, nous aussi, à cette parole et appliquons là dans la foi, la confiance et l’amour, dans les cas extrêmes.

Du discernement des différentes étapes.

Il peut paraître difficile de savoir à quel moment vivre ces différentes étapes et de fait ce n’est guère aisé.

La première étape généralement se vit lorsque le frère a péché contre nous personnellement, ou alors que nous le voyons commettre un péché grave; il est inutile alors de régler ce différent en en prenant immédiatement à témoin les autres, tout être humain a le droit à la dignité, à la discrétion. Puisque nous sommes seuls à connaître le péché de note frère contre nous lui-même ou d’autres, nous avons simplement le devoir de le reprendre uniquement en face à face.

Ainsi donc  si la conduite de notre frère ou d’une soeur s’avère mauvaise, tant que les autres ne sont pas au courant, il faut garder la discrétion et essayer de ramener le frère, la soeur à la raison, en tête à tête.

C’est seulement si notre rencontre ne donne vraiment rien, et que nous voyons que non seulement ,notre frère est en danger pour lui-même , mais aussi qu’il met les autres en danger, qu’il faut alors prendre une ou deux autres personnes de confiance et de discrétion, pour le rencontrer.  Ces témoins doivent être vraiment de bon jugement et de bons conseils et savoir aussi garder le silence, n’oublions jamais que tout homme a le droit au respect et à la discrétion.

La troisième étape, et la quatrième, ne seront à vivre que dans des cas extrêmement graves.

Ce qui est certain également, c’est que nous ne pouvons vivre ces rencontres de correction fraternelle, dans un esprit de supériorité, de jugement, voir de vengeance. Il faut vraiment que ce soit une démarche d’amour et de miséricorde, où on est prêt à écouter l’autre, où on est prêt à l’aider, et où on se refuse à l’enfoncer. C’est pourquoi il est important de toujours se mettre en prière avant une telle rencontre, d’abord pour examiner notre propre cœur devant le Seigneur et ensuite pour demander l’aide de l’Esprit Saint afin de savoir que dire et comment le dire exactement.

Pourquoi examiner notre propre cœur ?

D’abord pour prendre le temps de vivre la parole du Seigneur : « Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas! Matthieu 7/3 » Donc prendre le temps de voir par exemple ce qui motive notre désir profond de reprendre notre frère, est-ce vraiment le souci de l’aider, ou est-ce de l’enfoncer, ou encore le plaisir de lui faire la morale du haut de notre propre justice ?   Enfin notons que lorsque l’on a conscience de ses propres fautes on est enclin à être plus  miséricordieux, plus compatissant avec les autres.

Si nous voulons être sur de reprendre notre frère dans l’amour du Seigneur alors il est impératif de se mettre en toute vérité et en toute humilité devant le Seigneur, et de faire ainsi le ménage devant notre propre porte avant de la faire devant celle d’autrui .

Dénonciation n’est pas délation

Bien des gens confondent la délation et la dénonciation. Prenons donc le temps de faire la part des choses. La délation consiste à faire bonne figure, devant autrui, de le laisser agir sans rien lui dire en face, et ensuite d’aller par derrière lui, rapporter ses faits et gestes pour qu’il en soit « puni ». La délation procède toujours d’un mauvais esprit et d’un mauvais cœur.

La dénonciation dont il est question ici est toute autre, d’abord elle fait suite à une rencontre personnelle où l’autre sait ce que l’on pense, où il sait que l’on est dans l’obligation d’aller plus haut, il en est averti. Enfin, cette dénonciation ne procède pas d’un désir de nuire à l’autre mais au contraire de l’aider à s’en sortir. Ce qu’on ne peut arriver à faire seul, il est possible que l’on y arrive à deux ou trois :

Du pardon à savoir demander

Je voudrais ici parler de l’autre aspect de la correction fraternelle qui est celui d’aller demander pardon à la personne que nous avons blessée et de réparer le mal que nous avons causé. Ce que nous attendons tant des autres  (à savoir nous faire des excuses), essayons de le vivre aussi nous-mêmes. Et puis  Rappelons-nous cette parole du Christ :

"Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toilaisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande. (Matthieu 5:23)

Le Seigneur, veut que nous nous aimions, or est-ce vraiment nous aimer que de rester fâchés après nous être blessés ?

Le Seigneur veut l’amour, et le premier fruit de l’amour est la concorde, donc la réconciliation et il ne peut y avoir de réconciliation sans démarche de pardon. Si donc nous voulons vivre dans l’amour du Christ, si vraiment nous voulons communier à son corps, à son sang, il nous faut nous réconcilier.

N’attendons pas que l’autre vienne nous dire « tu m’as fait mal » Puisque nous le savons, allons vers lui et demandons son pardon. Peut-être, craignons nous qu’il nous refuse son pardon ? Oui, cela peut arriver, et il te faudra à notre tour pardonner ce refus, mais nous aurons fait ce que nous avions à faire et nous pourrons alors présenter notre offrande à notre Seigneur.

De la reconnaissance à avoir pour celui qui nous corrige

Il peut nous arriver à nous aussi de pécher, d’être dans l’erreur, et de voir un frère venir nous dire ; « change ta conduite, ….. »   Bien sur cela ne va pas nous faire plaisir sur le coup car il n’est jamais agréable de se faire corriger. Cependant soyons lui reconnaissant de prendre cette peine à notre égard, car il nous remet sur la route de la vie avec Dieu. Ecoutons le, corrigeons nous et ayons assez d’humilité et de simplicité pour le remercier de ce travail qu’il a fait avec nous, pour nous, alors même qu’il aurait pu ne pas le faire.

Considérons toujours que l’avertissement des autres, dans la correction fraternelle est vraiment une preuve d’amitié et non de méchanceté ou de haine …sachons en tirer le meilleur parti, pour vivre vraiment notre vie selon le cœur de Dieu.

De la correction fraternelle en communauté

Tous ceux qui vivent en communauté ou partagent des activités communautaires (équipe de paroisse par exemple) savent à quel point la vie fraternelle est difficile. Il y a sans cesse des tiraillements, des malaises, quand ce ne sont pas des disputes et des blessures intérieures plus profondes …  C’est alors que la correction fraternelle est importante, pour éviter tous ces non dits, qui ne font qu’envenimer les choses, et leur donner des proportions qu’elles n’ont pas à l’origine.

Saint Paul donne à ce niveau un excellent conseil : 

«Que le soleil ne se couche pas sur votre colère »

La réconciliation peut parfois se faire directement entre les personnes concernées, mais bien souvent il est besoin d’un médiateur, ou de deux ou de trois. Ce qui est certain c’est que tous doivent veiller à ce que la concorde et l’amour fraternel soient vécus réellement et que toute fracture à cet amour soit le plus rapidement possible, réparer. Comment en effet dire à Dieu : « Seigneur je t’aime », alors que nous n’aimons plus notre frère avec lequel nous sommes fâchés.  Que cela soit à tort ou à raison, importe peu, puisque le Seigneur demande de nous aimer les uns les autres, d’aimer même à nos ennemis.  Et lui, ne s’est il pas offert à la croix, pour nous pécheurs, qui ne cessons de le blesser, alors qu’il nous pardonne sans cesse ?

Conclusion

Ainsi donc nous le voyons bien la correction fraternelle n’est pas un luxe mais une réelle nécessité, autant pour notre vie humaine personnelle et communautaire que pour notre vie spirituelle. C’est un devoir chrétien auquel nous ne pouvons nous soustraire. L’amour de Dieu et des autres nous y invite. Nous avons donc à l’accueillir pleinement dans notre vie et si nous devons savoir la recevoir avec humilité et reconnaissance nous devons encore bien plus savoir la dispenser dans la charité et l’unique souci de l’autre.

 

 Myriam de Gemma