Nicolas de FLUE

Nicolas de FLUE (1417 – 1487) écrits

Bienheureux, ascète, patron de la Suisse

 

Sentences spirituelles

 

  1. Du Verbe éternel et du martyre du Christ.

 

Je veux vous dire un enseignement,

Je le fais à la louange et à l'honneur de Dieu.

 O Dieu! je m'émerveille toujours de la parole qui sortit de ta bouche

Par laquelle tu as fait le ciel et le sol de la terre.

 O Dieu! pourquoi ne dis-tu pas une parole ?

Tu aurais ainsi détruit la porte de l'enfer,

 Et tu aurais échappé à ta peine,

Mais serions-nous enfants de Dieu (1)?

 O Dieu! de là, que dois-je conclure ?

Dieu, je dois reconnaître à cela ta justice.

 Dieu nous envoie son Fils, du trône,

Pour qu'il nous fasse une couronne.

 Ecoute, mon Maître, pourquoi ta peine fut-elle si multiple?

Pourquoi ne la fis-tu pas à moins être suffisante ?

 As-tu souffert pour ceux qui étaient là dans la peine,

Ou qui viendront ensuite y vivre ?

 Le Fils de Dieu à la croix est pendu,

Et a racheté ceux qui étaient captifs.

 Sur la croix il a saigné et fructifié,

Et qui, de coeur, désire du fruit, à lui le fruit est donné.

 Les sages prophètes ont parlé de LUI et prédit sa mort.

Par elle, il les a rachetés de grande misère.

 Dieu n'a rien de plus cher que la vie de l'homme,

C'est pourquoi le Fils de Dieu s'est donné à la croix.

 O Dieu! il faut qu'à toi je m'accuse :

La croix, je ne la porte volontiers.

 Qui est celui qui peut nommer sa sagesse,

Et qui peut reconnaître les merveilles de Dieu ?

 Dieu a souffert ni trop peu ni trop,

Car de cela tous nous avions besoin.

 Homme, pense aux petites fleurs belles,

Comme elles fleurissent sur la face de la terre,

Ainsi dois-tu fleurir dans l'aimable martyre de Dieu.

 Le martyre de Dieu et son amère peine,

Comme ils ont été multiples !

 Ce nous est devenu consolation,

De voir comme Dieu rachète le pauvre pécheur .

 Martyre de Dieu et son amère peine,

Il faut toujours que ce soient les degrés

Qu'il nous faut gravir,

Si nous voulons aller à la vie éternelle.

 

  1. De la patience et de l'humilité par quoi nous devenons participants de la passion du Christ.

 

O homme! aie Dieu dans ton coeur,

Et tiens-le pour le meilleur, le Tout-Bien.

 O homme! veux-tu reconnaître si tu aimes Dieu ?

Regarde comme tu portes tribulations et souffrances.

 Si tu peux porter tribulations et peines et souffrir le mépris du monde purement pour Dieu,

Par là tu peux reconnaître que tu aimes le Tout-Puissant.

 Homme, quand le monde te hait et te fait beaucoup d'infidélités,

Pense à ton Dieu comme il fut bafoué et conspué.

 Tu ne dois pas accuser ton prochain d'être coupable,

Mais tu dois prier Dieu qu'à tous deux il soit miséricordieux .

 Homme, tu dois te tenir en sagesse.

Ne laisse pas la colère à ta tête monter.

 Par la colère tu es si défait,

Que toute ta raison succombe.

 Pense à la couronne, comme elle était large,

Qui fut mise à Dieu, sur sa tête sainte, si cruellement.

 De si nombreuses pointes d'épines le piquèrent

Que le sang de son visage coula.

 Pense aux trois clous

Qui furent cloués aux mains et aux pieds de Dieu.

 De là il souffrit si grande misère

Et pria pour ceux qui lui donnaient la mort.

 O homme! envie et haine en ton coeur tu ne dois porter,

Tribulation et souffrance tu dois avoir volontiers.

 Homme, tu dois toujours être en humilité,

Toutes choses tu dois tourner à bien

 Si tu connaissais ton péché

Et aussi la grande infernale peine,

 Alors, je n'en doute pas,

Ne t'arracheraient à l'amour de Dieu ni femme ni homme.

 Homme, eusses-tu tout honneur et tout bien

Que le sol de la terre porta jamais ou porte encore,

 A ta dernière fin, rien ne pourrait t'aider, te servir,

Que le martyre de Dieu et son amère peine,

 Et la contrition de tes péchés,

Et aussi d'être en parfait amour.

 C'est pourquoi nous devons à la Mère de Dieu très fidèlement nous abandonner,

Pour que nous soit donnée à tous une bonne heureuse fin. Amen

 

  1. Comment Dieu merveilleusement habite et agit par le Christ dans l'âme aimante.

 

O Dieu! que tu es hautement aimable

Comme vers le pauvre pécheur humblement tu t'es penché!

 O Dieu! combien pleine est ta bonté

De demeurer si volontiers dans le coeur de l'homme!

 De quoi se réjouit mainte âme qui te désire

Et maint grand pécheur par là est converti.

 Ah Dieu! tu es un noble hâte.

Tu opères dans l'homme jour et nuit.

 Tu donnes à l'homme un bon délai

De sorte qu'ensuite la vie de l'homme est toute selon ta volonté.

 Je te loue, Seigneur Jésus-Christ,

Car tu es la source de toute grâce et vertu.

 Tu es le très miséricordieux Christ

De tous hommes consolateur.

 Combien je dois me tenir en sagesse

Puisque de Dieu je reçois une telle grâce!

 

  1. Comment l'homme doit se comporter envers la grâce et l'amour de Dieu.

 

Homme, en Dieu tu dois avoir bonne confiance,

Et prier pour un continuel repentir.

 Et aussi pour une bonne connaissance, afin que te devienne connu

Celui qui est nommé le Dieu éternel.

 O Dieu! que tu es délicieusement aimable

Toi qui, de la divinité, revêts l'âme bien-aimée .

 Ma joie est-elle plus grande en mon coeur

Ou est-elle plus grande en la bonté de Dieu ?

 Dieu vers l'âme s'est incliné,

Il lui fait multiple joie.

 O homme ! comment de toi Dieu pourrait-il être mieux connu

Que par le fait qu'à toi, du ciel, l'amour de Dieu est envoyé ?

 

  1. Union de Dieu et de l'âme dévote expliquée par belles similitudes.

 

Quel cadeau faisons-nous au très noble hôte

Que si instamment nous avons invité ?

 Un continuel amour sera la coupe; la volonté libre, le vin clair

Pour que le Dieu du royaume du ciel chez nous tous veuille être le bienvenu .

 On loue la noblesse hautement,

Ainsi que Dieu soit pour nous comme un cher hôte digne.

 La sagesse, voilà ce que nous lui devons préparer,

En elle Dieu veut avoir bonne compagnie.

 Les Trois qu'on nomme en Dieu sont le créateur de notre fond,

Dieu, c'est lui qui est notre conservateur.

 Du lieu où Dieu même habite, la sagesse n'est pas absente

Il faut qu'en innocence et pureté d'enfant se tienne l'âme

Où Dieu même en promenade veut aller.

 Pourquoi Dieu donne-t-il à la pureté le doux salut ?

Parce qu'il prend d'elle le plaisir de la douceur

Comme l'abeille le prend des fleurs de mai.

 

  1. Autres similitudes utiles au service de Dieu et à la dévotion.

 

Il se bâtit maint haut bourg et maint lieu

Que l'homme mette plutôt sur son âme les nobles feuilles de roses

 Où Dieu même est déposé.

Tout argent et or et toute pierre précieuse seraient-ils mis en un écrin

 Ils ne sauraient pourtant briller d'un si grand éclat

Que le fait une âme qui gagne l'éclat du lis

Quand la haute divinité même brille en elle!

 Beaucoup vont par mer vers le Saint Tombeau

Pour y être armés chevaliers!

 Mais c'est un chevalier valeureux,

Celui qui dans son âme porte Dieu.

 Homme, pense au large soleil,

Comme il se tient haut dans le ciel!

Comme il a reçu l'éclat de l'éternelle divinité.

 Quand Dieu naît ainsi dans le coeur de l'homme.

Il y a au ciel floraison et délices.

 

  1. Comment il faut que l'homme évite le péché.

 

Homme, veux-tu couper des roses en l'éternelle vie ?

Tu dois toujours éviter le péché.

 Homme, veux-tu aller dans l'éternelle vie ?

Il te faut toujours éloigner le péché.

 C'est ainsi que ton âme reçoit l'éclat du lis

Et que Dieu demeure avec sa grâce en elle .

 

  1. Ce n'est pas assez de croire et de porter le nom de chrétien.

 

Homme, lis-tu ou entends-tu parler de Dieu volontiers ?

Alors tu l'aimes et gardes ses commandements.

 Le fais-tu autant que tu peux ?

Alors l'espérance te fortifie maintenant et au dernier souffle.

 O homme! crois en Dieu fortement,

Car en la foi se tient l'espérance,

En l'espérance se tient l'amour,

En l'amour se tient la connaissance.

En la connaissance, la victoire,

 En la victoire, la récompense.

En la récompense, le couronnement.

En le couronnement, la réalité éternelle,

Que maintenant l'on prise si peu.

 

A un jeune homme de Berthoud

qui était venu le consulter sur sa vocation religieuse ou érémitique et lui poser des questions de spiritualité.

 Pouvait-il se faire ermite à l'insu de ses parents, sans se préoccuper du devoir éventuel de les assister ? Si tu veux servir Dieu, tu n'as à te soucier de personne, mais si tu voulais rester ici pour y mener de bons jours, tu dois plutôt être avec les tiens pour les soulager.

 Les Chartreux ont des biens-fonds. Cette propriété n'est-elle pas pour eux un dommage spirituel ? En quelque Ordre que tu sois, il faut nécessairement que tu vives d'aumônes. Si les Chartreux ont déjà reçu tant d'aumônes qu'ils aient assez de biens pour en vivre, ils n'ont plus besoin d'envoyer mendier.

Cette réplique de bon sens apaisa le scrupule du jeune visiteur.

 Faut-il se représenter le Christ comme souffrant actuellement et compatir à ses douleurs, ou, puisque celles-ci sont passées et qu'il règne maintenant dans la gloire, partager sa joie et le féliciter de ce que ses tourments sont finis ? Fais comme tu voudras, l'une et l'autre choses sont bonnes.

 Sur la facilité et la douceur ou les labeurs de l'oraison selon les moments et les grâces :

Dieu sait faire que l'homme trouve à prier un tel goût qu'il y aille comme il irait à la danse; et Dieu sait faire aussi que l'homme y trouve un tel goût qu'il y aille comme il irait à un combat.

 Enfin, cette consigne d'humilité :

De rien de bien en toi-même tu ne dois te vanter.

 

M.- B. Lavaud, O.P. VIE PROFONDE DE NICOLAS DE FLUE,
p. 216-225, Fribourg 1942