Cardinal Walter Brandmüller Célibat sacerdotal 19.07.2014

Non, le célibat sacerdotal ne remonte pas
à une loi édictée 900 ans après le Christ

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Historien de l'Eglise, le cardinal allemand Walter Brandmüller met les choses au point à ce sujet dans Il Foglio du 13 juillet (nous reprenons la traduction parue sur chiesa.espresso):

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NOUS PRÊTRES, CÉLIBATAIRES COMME LE CHRIST

Cher Monsieur S…….,

Bien que n’ayant pas le privilège de vous connaître personnellement, je voudrais revenir sur ce que vous affirmez à propos du célibat dans le compte-rendu de votre entretien avec le pape François, affirmations qui ont été publiées le 13 juillet 2014 et immédiatement démenties, quant à leur authenticité, par le directeur du bureau de presse du Vatican. En tant que “vieux professeur” qui ai enseigné l’histoire de l’Église pendant trente ans à l’université, je souhaite porter à votre connaissance l’état  actuel de la recherche dans ce domaine.

En particulier, il est nécessaire de souligner en premier lieu que le célibat ne remonte pas du tout à une loi inventée neuf cents ans après la mort du Christ. Ce sont plutôt les Évangiles selon Matthieu, Marc et Luc qui rapportent ce que Jésus a dit à ce propos.

Matthieu écrit (19,29) : “Quiconque aura quitté maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs à cause de mon nom, recevra le centuple et aura en partage la vie éternelle”.

Ce qu’écrit Marc est très semblable (10,29) : “En vérité, je vous le dis : nul n’aura quitté maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi qu’il ne reçoive le centuple”.

Luc se montre encore plus précis (18, 29 et suiv.) : “En vérité, je vous le dis : nul n’aura quitté maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive bien davantage en ce temps-ci et, dans le temps à venir, la vie éternelle”.

Ce n’est pas à de grandes foules que Jésus s’adresse lorsqu’il dit cela, mais bien à ceux qu’il envoie répandre son Évangile et annoncer l’avènement du Royaume de Dieu.

Pour accomplir cette mission, il est nécessaire qu’ils se libèrent de tous les liens terrestres et humains. Et, étant donné que cette séparation signifie la perte de ce à quoi l’on peut normalement s’attendre, Jésus promet une “récompense” plus qu’appropriée.

À ce point de la réflexion, on fait souvent remarquer que le “tout abandonner” faisait référence uniquement à la durée du voyage au cours duquel son Évangile serait annoncé et que, une fois qu’ils auraient accompli leur mission, les disciples reviendraient dans leurs familles. Mais il n’y a aucune trace de cela. Par ailleurs le texte des Évangiles, lorsqu’il fait allusion à la vie éternelle, parle de quelque chose de définitif.

Par ailleurs, étant donné que les Évangiles ont été écrits entre l’an 40 et l’an 70 de l’ère chrétienne, ceux qui en furent les rédacteurs auraient donné une mauvaise image d’eux-mêmes s’ils avaient fait tenir à Jésus des propos avec lesquels leur propre comportement dans la vie n’aurait pas été en conformité. En effet Jésus demande à ce que ceux qui participent à sa mission adoptent également sa manière de vivre.

Mais alors que veut dire Paul lorsque, dans sa première épître aux Corinthiens (9, 5), il écrit : “Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? N’avons-nous pas le droit de manger et de boire ? N’avons-nous pas le droit de nous faire accompagner par une femme croyante, exactement comme les autres apôtres et les frères du Seigneur et Céphas ? Ou bien devrions-nous être les seuls, Barnabé et moi, à devoir renoncer au droit de ne pas travailler ?”. Ces questions et ces affirmations ne présentent-elles pas comme acquis le fait que les apôtres aient été accompagnés par leurs épouses respectives ?

Sur ce point, il faut procéder de manière prudente. Les questions rhétoriques que pose l’apôtre font référence au droit que celui qui annonce l’Évangile a de vivre aux frais de la communauté et cela s’applique également à la personne qui l’accompagne.

Une question se pose alors, bien évidemment, celle de savoir qui est cette personne qui accompagne. L’expression grecque “adelphèn gynaïka” nécessite une explication. “Adelphè” signifie sœur. Et dans ce texte on entend, par sœur dans la foi, une chrétienne, tandis que “gynè” indique – de manière plus générale – une femme, que celle-ci soit vierge, fiancée, ou épouse. En somme, un être féminin. Toutefois cela fait qu’il est impossible de démontrer que les apôtres étaient accompagnés par leurs épouses. Parce que, si au contraire il en était ainsi, on ne comprendrait pas pourquoi on parlerait clairement d’une "adelphè" en tant que sœur, donc chrétienne. En ce qui concerne l’épouse, il faut savoir que l’apôtre l’a quittée au moment où il a commencé à faire partie du groupe des disciples.

Le chapitre 8 de l’Évangile de Luc aide à y voir plus clair. On y lit : “Jésus vint, accompagné par les douze et par quelques femmes qu’il avait guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, appelée la Magdaléenne, de qui étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne, ainsi que beaucoup d’autres. Elles servaient toutes Jésus et les disciples avec ce qu’elles possédaient”. Il paraît logique de déduire de cette description que les apôtres auraient suivi l’exemple de Jésus.

Par ailleurs il faut attirer l’attention sur l’appel empathique au célibat ou à l’abstinence conjugale qui est lancé par l’apôtre Paul (1 Corinthiens 7, 29 et suiv.) : “Je vous le dis, frères : le temps se fait court. Par conséquent, que ceux qui ont une femme vivent à l’avenir comme s’ils n’en avaient pas”. Et encore : “L’homme qui n’est pas marié a souci des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur. Celui qui est marié a souci des affaires du monde, il veut plaire à son épouse, et le voilà partagé”. Il est clair que Paul, lorsqu’il dit cela, s’adresse en premier lieu à des évêques et à des prêtres. Et lui-même s’en serait tenu à cet idéal.

Dans le but de prouver que Paul ou l’Église des temps apostoliques ne connaissaient pas le célibat, on fait quelquefois appel aux épîtres adressées à Timothée et à Tite, celles que l’on appelle les épîtres pastorales. Et en effet, dans la première épître à Timothée (3, 2), il est question d’un évêque marié. Et, de manière répétée, on traduit le texte original grec de la façon suivante : “Que l’évêque soit le mari d’une femme”, ce qui est considéré comme un précepte. Mais il suffirait d’une connaissance rudimentaire du grec pour traduire correctement : “Voilà pourquoi il faut que l’évêque soit irréprochable, qu’il n’ait été marié qu’une fois (et il doit être le mari d’une femme !), qu’il soit sobre et pondéré”. On lit aussi, dans l’épître à Tite : “Un ancien (c’est-à-dire un prêtre, un évêque) doit être irréprochable et n’avoir été marié qu’une seule fois”.

Il s’agit là d’indications qui tendent à exclure la possibilité qu’un homme qui, après la mort de son épouse, se serait remarié (bigamie “successive”) soit ordonné prêtre-évêque. En effet non seulement, à cette époque-là, un veuf qui se remariait n’était pas vu d’un bon œil, mais l’Église ajoutait à cela une autre considération : un tel homme ne pouvait donner aucune garantie qu’il respecterait l’abstinence, à laquelle un évêque ou un prêtre devait se vouer.

LA PRATIQUE DE L’ÉGLISE POST-APOSTOLIQUE

La forme originelle du célibat prévoyait donc que le prêtre ou l’évêque continuent leur vie familiale, mais pas leur vie conjugale. C’est également pour cette raison que l’on préférait ordonner des hommes d’âge plus avancé.

Les œuvres d’auteurs ecclésiastiques tels que Clément d’Alexandrie ou Tertullien, originaire d’Afrique du Nord, qui vivaient aux IIe et IIIe siècles de l’ère chrétienne, témoignent du fait que tout cela peut être rattaché à des traditions apostoliques anciennes et consacrées. De plus, une série de récits édifiants concernant les apôtres – ce que l’on appelle les Actes des apôtres apocryphes, qui furent composés au IIe siècle et firent l’objet d’une large diffusion – témoignent du fait que l’abstinence était tenue en haute considération parmi les chrétiens.

Par la suite, au IIIe siècle, les documents littéraires qui traitent de l’abstinence des clercs se multiplient et ils deviennent de plus en plus explicites, surtout en Orient. Voici, par exemple, un passage tiré de ce que l’on appelle la “Didascalie syriaque” : “L’évêque, avant d’être ordonné, doit être mis à l’épreuve, pour que l’on sache s’il est chaste et s’il a élevé ses enfants dans la crainte de Dieu”. De même le grand théologien Origène d’Alexandrie (IIIe siècle) connaît un célibat d’abstinence contraignant ; un célibat qu’il explique et approfondit au point de vue théologique dans plusieurs de ses ouvrages. Et il y aurait bien entendu d’autres documents que l’on pourrait citer pour soutenir cette thèse, ce qu’il n’est évidemment pas possible de faire ici.

LA PREMIÈRE LOI RELATIVE AU CÉLIBAT

C’est le concile d’Elvire, en 305-306, qui a donné la forme d’une loi à cette pratique d’origine apostolique. Dans son canon 33, ce concile interdit aux évêques, aux prêtres, aux diacres et à tous les autres clercs d’avoir des rapports conjugaux avec leur épouse ; il leur interdit également d’avoir des enfants. Par conséquent, à cette époque-là, on considérait que l’abstinence conjugale et la vie familiale pouvaient être conciliées. C’est ainsi que même le saint pape Léon Ier, dit Léon le Grand, écrivait vers 450 que les hommes consacrés ne devaient pas répudier leur femme. Ils devaient continuer à vivre avec elles, mais comme s’ils “n’en avaient pas”, pour reprendre l’expression utilisée par Paul dans sa première épître aux Corinthiens (7,29).

Au fil du temps, on aura de plus en plus tendance à accorder les sacrements de l’ordination uniquement à des hommes célibataires. La codification surviendra au Moyen Âge, époque à laquelle on considérait comme évident que le prêtre et l’évêque soient célibataires. Il est de fait que la discipline canonique n’était pas toujours respectée à la lettre, mais cela ne doit pas étonner. Et, comme il est naturel, l’observance du célibat a également connu des hauts et des bas au cours des siècles.

On peut en citer un exemple célèbre : la controverse très vive qui eut lieu au XIe siècle, à l’époque de ce qu’on appelle la réforme grégorienne. À cette occasion il se produisit dans l’Église – surtout en Allemagne et en France – un désaccord tellement marqué que des prélats allemands qui étaient opposés au célibat en arrivèrent à chasser de son diocèse, par la force, Altmann, l’évêque de Passau,. En France, les émissaires du pape qui avaient été chargés d’insister sur la discipline du célibat furent menacés de mort et, pendant un synode qui eut lieu à Paris, Gauthier, le saint abbé de Pontoise, fut frappé par des évêques qui étaient opposés au célibat et jeté en prison. Cependant la réforme réussit à s’imposer et on assista à un nouveau printemps religieux.

Il est intéressant de constater que la contestation du précepte établissant le célibat s’est toujours manifestée dans les moments où apparaissaient des signes de décadence au sein de l’Église, tandis que l’observance du célibat se renforçait dans les périodes où la foi connaissait un regain de vigueur et où la culture était florissante.

Et il n’est certes pas difficile d’établir des parallèles entre ces observations historiques et la crise actuelle.

LES PROBLÈMES DE L’ÉGLISE D'ORIENT

Deux questions qui sont fréquemment posées restent encore ouvertes. Il y a celle qui concerne la pratique du célibat dans l’Église catholique de l’empire byzantin et du rite oriental, qui n’admet pas le mariage pour les évêques et les moines, mais le permet aux prêtres, à condition que le mariage de ceux-ci ait eu lieu avant leur ordination. Et il y a des gens qui, prenant justement cette pratique comme exemple, se demandent si elle ne pourrait pas être adoptée également par l’occident latin.

À ce sujet, il faut souligner avant tout que c’est précisément en Orient que la pratique du célibat abstinent a été considérée comme contraignante. Et c’est seulement pendant le concile de 691, appelé "Quinisexte" ou "in Trullo", à une époque où la décadence religieuse et culturelle de l’empire byzantin apparaissait évidente, que s’est produite la rupture avec l’héritage apostolique. Ce concile fut influencé en très grande partie par l’empereur, qui voulait remettre de l’ordre dans les relations au moyen d’une nouvelle législation, mais il ne fut jamais reconnu par les papes. C’est justement à cette période que remonte la pratique adoptée par l’Église d’Orient. Lorsque par la suite, à partir des XVIe et XVIIe siècles et ultérieurement, plusieurs Églises orthodoxes rejoignirent l’Église d’Occident, le problème s’est posé à Rome de savoir comment il fallait se comporter à l’égard des membres du clergé de ces Églises qui étaient mariés. Les papes qui se succédèrent décidèrent, pour le bien et l’unité de l’Église, de ne demander aux prêtres revenus à l’Église mère aucune modification de leur manière de vivre.

L'EXCEPTION DE NOTRE TEMPS

C’est sur une motivation semblable qu’est fondée la dispense de célibat qui est concédée par le pape – à partir de Pie XII – aux pasteurs protestants lorsqu’ils se convertissent au catholicisme et désirent être ordonnés prêtres. Cette règle a également été appliquée par Benoît XVI, récemment, aux nombreux prélats anglicans qui désiraient s’unir à l’Église mère catholique, conformément à la constitution apostolique "Anglicanorum cœtibus". Par cette concession extraordinaire, l’Église reconnaît le long et parfois douloureux cheminement religieux de ces hommes de foi, parvenus à leur but grâce à leur conversion. Un but qui, au nom de la vérité, conduit les intéressés à renoncer également aux ressources économiques perçues jusqu’alors. C’est l’unité de l’Église, bien d’une immense valeur, qui justifie ces exceptions.

HÉRITAGE CONTRAIGNANT ?

Mais, ces exceptions mises à part, l’autre question fondamentale qui se pose est : l’Église peut-elle être autorisée à renoncer à ce qui est évidemment un héritage apostolique ?

C’est une option qui est continuellement prise en considération. Il y a des gens qui considèrent que ce n’est pas seulement par une partie de l’Église mais par un concile général que cette décision peut être prise. De cette manière, on pense que, même si tous les milieux ecclésiastiques n’étaient pas impliqués, on pourrait assouplir l’obligation du célibat au moins pour certains, sinon l’abolir purement et simplement. Et ce qui apparaît encore aujourd’hui comme inopportun pourrait être la réalité de demain. Mais si l’on voulait agir de cette manière, il faudrait replacer au premier plan l’élément contraignant des traditions apostoliques. Et l’on pourrait aussi se demander si, par une décision prise dans le cadre d’un concile, il serait possible d’abolir la fête du dimanche qui, si l’on veut être pointilleux, a moins de fondements bibliques que le célibat.?

Enfin permettez-moi de me livrer, en guise de conclusion, à une considération tournée vers l’avenir : si la constatation que toute réforme ecclésiastique digne de ce nom doit avoir pour fondement une connaissance profonde de la foi ecclésiastique continue à être valable, alors la controverse actuelle à propos du célibat sera, elle aussi, dépassée grâce à une connaissance approfondie de ce que signifie le fait d’être prêtre. Et si l’on comprend et enseigne que le sacerdoce n’est pas une fonction de service, exercée au nom de la communauté, mais que le prêtre – en vertu des sacrements qu’il a reçus – enseigne, guide et sanctifie "in persona Christi", alors on comprendra d’autant mieux que, justement pour cette raison, il adopte aussi la forme de vie du Christ. Et un sacerdoce compris et vécu de cette façon recommencera à exercer son pouvoir d’attraction sur l’élite des jeunes.

Pour le reste, il faut prendre acte du fait que le célibat, ainsi que la virginité au nom du Royaume des Cieux, resteront toujours, pour les gens qui ont une conception sécularisée de la vie, quelque chose d’irritant. Mais Jésus disait déjà à ce propos : “Que celui qui peut comprendre, comprenne”.

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