Vincent de LERINS

Vincent de LERINS (?-avant 450), écrits

Saint, moine

 

Progrès ou changement dans la foi ?

 

Ne peut-il y avoir, dans l'Église du Christ, aucun progrès de la religion ? Si, assurément, et un très grand. Car qui serait assez jaloux des hommes et ennemi de Dieu pour essayer d'empêcher ce progrès ? À condition du moins qu il s'agisse d'un véritable progrès dans la foi, et non d'un changement. Car il y a progrès, si une réalité s'amplifie en demeurant elle-même ; mais il y a changement si elle se transforme en une autre réalité. Il faut donc qu'en chacun et en tous, en chaque homme aussi bien qu'en l'Église entière au cours des âges et des générations, l'intelligence, la science et la sagesse croissent et progressent fortement, mais selon leur genre propre, c'est-à-dire dans le même sens, selon les mêmes dogmes et la même pensée.

Que la religion imite donc la croissance des corps dont les éléments évoluent et se développent au rythme des années, mais demeurent eux-mêmes. Il y a grande différence entre la fleur de l'enfance et la maturité de la vieillesse, et pourtant ceux qui maintenant deviennent des vieillards sont bien les mêmes que les adolescents qu'ils furent autrefois. La stature et les manières d'un homme peuvent changer, mais sa nature demeure identique, ainsi que sa personne. Les membres des nouveau-nés sont tout petits, ceux des jeunes gens ont grandi, et pourtant ce sont les mêmes. Les petits enfants possèdent autant de membres que les adultes, et si certains apparaissent seulement à l'âge mûr, l'embryon ne les contenait pas moins en puissance ; si bien que rien de nouveau ne se manifeste chez le vieillard qui n'ait d'abord été en germe chez l'enfant. Il n'y a donc aucun doute : la règle de tout progrès légitime et la norme précise de toute croissance harmonieuse, c'est que le nombre des années révèle chez les plus grands la forme des membres que la sagesse du Créateur avait ébauchée lorsqu'ils étaient enfants. Et s'il arrivait qu'un être humain prît quelque apparence étrangère à son espèce, soit que le nombre de ses membres augmente, soit qu'il s'amenuise, tout le corps périrait nécessairement, et serait en tout cas gravement débilité. Il en va de même pour les dogmes de la religion chrétienne : la loi de leur progrès veut qu'ils se consolident au cours des ans, se développent avec le temps et grandissent au long des âges. ~

Nos ancêtres ont jadis ensemencé le champ de l'Église avec le blé de la foi. Il serait injuste et inconvenant pour nous, leurs descendants, de récolter l'ivraie de l'erreur au lieu du froment de la vérité. Au contraire, il est normal et il convient que la fin ne renie pas l'origine, et qu'au moment où le blé de la doctrine a levé, nous moissonnions l'épi du dogme. Ainsi, lorsque le grain des semailles a poussé avec le temps et se réjouit maintenant de mûrir rien cependant ne change des caractères propres du germe.

COMMONITORIUM DE SAINT VINCENT DE LÉRINS

« Vous ne voyez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? »

 

        Dans l'Église du Christ, ne peut-il y avoir aucun progrès de la doctrine ?... Mais certainement, il en faut un, et considérable ! Qui serait assez jaloux des hommes et ennemi de Dieu pour tenter de s'y opposer ? Mais à condition qu'il s'agisse d'un véritable progrès de la foi, et non d'une altération... Il faut donc que l'intelligence, la science et la sagesse grandissent et progressent fortement en chacun comme en tous, chez un seul homme autant que dans l'Église entière, au cours des âges et des siècles, ; mais il faut qu'elles progressent selon sa propre nature, c'est-à-dire dans la même doctrine, le même sens, la même affirmation.

        Que la religion des âmes imite donc le développement des corps : bien qu'ils évoluent et qu'ils grandissent au cours des années, ils demeurent ce qu'ils étaient. Il y a une grande différence entre l'éclosion de l'enfance et les fruits de la vieillesse, mais c'est la même personne qui passe de l'enfance au grand âge. C'est un seul et même homme dont la stature et les manières se modifient, tandis qu'il garde la même nature, qu'il demeure une seule et même personne. Les membres des bébés sont petits, ceux des jeunes gens sont grands ; ce sont pourtant les mêmes..., ils existaient déjà en puissance chez l'embryon...

        De même, la foi chrétienne doit suivre ces lois du progrès pour qu'elle se fortifie avec les années, que le temps la développe, que l'âge l'ennoblisse. Nos pères ont semé jadis le froment de la foi pour la moisson de l'Église. Il serait injuste et choquant que nous, leurs descendants, au lieu du blé de la vérité authentique, nous y récoltions l'erreur frauduleuse de l'ivraie (Mt 13,24s). Au contraire, il est juste et logique qu'il n'y ait pas de désaccord entre les débuts et la fin et que nous moissonnions ce blé qui s'est développé depuis que le même blé a été semé. Ainsi, alors qu'une partie des premières semences doit évoluer avec le temps, il conviendra encore maintenant de les fertiliser et d'en parfaire la culture. 

Commonitorium, 23 (trad. bréviaire rev.)